Surveillance de journalistes par la Sûreté du Québec

Radio-Canada veut que les mandats visant les journalistes de La Presse restent secrets

Dans une démarche judiciaire surprenante, la Société Radio-Canada (SRC) s’oppose à ce que La Presse puisse avoir accès aux mandats ayant permis à la Sûreté du Québec (SQ) d’obtenir les relevés téléphoniques de deux de ses propres journalistes, Denis Lessard et André Cédilot.

En novembre dernier, La Presse s’est adressée à la Cour du Québec pour demander la levée d’ordonnances de mise sous scellés de ces mandats dans le but de savoir quels motifs ont été allégués pour les obtenir et connaître l’objet de l’enquête. Elle comptait par la suite rendre public le contenu des paquets scellés.

André Cédilot et Denis Lessard ont fait l’objet d’une enquête à la suite d’une intervention de l’ancien ministre de la Sécurité publique Stéphane Bergeron. Ce dernier s’est tourné vers la SQ après avoir reçu une plainte en 2013 de l’ancien président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) Michel Arsenault. Le chef syndical croyait alors que des journalistes avaient obtenu des transcriptions de la surveillance électronique dont il a fait l’objet dans le cadre d’une enquête policière sur l’infiltration du crime organisé dans l’économie légale menée en 2008 et 2009.

La SQ a avoué récemment que les appels entrants et sortants des deux journalistes de La Presse, mais aussi de trois journalistes de Radio-Canada – Marie-Maude Denis, Isabelle Richer et Alain Gravel – avaient été épiés.

« Comme il s’agit d’une enquête commune ayant la même origine, les intervenants ont des motifs de croire que les dénonciations contiendraient non seulement des informations en lien avec les requérants André Cédilot et Denis Lessard, mais également des informations concernant leurs propres enquêtes journalistiques et plus particulièrement certaines sources journalistiques », peut-on lire dans la requête de Radio-Canada.

« Je comprends qu’un média essaye de protéger ses sources, mais c’est assez inhabituel de tenter de bloquer l’accès du public à une procédure judiciaire. »

— Me Mark Bantey, qui représente La Presse dans cette affaire

Puisque le gouvernement du Québec a annoncé en novembre dernier la création d’une commission d’enquête qui se penchera sur la confidentialité et la protection des sources journalistiques, la SRC dit aussi qu’elle veut éviter la répétition des mêmes débats devant deux instances, afin d’éviter « des jugements contradictoires ».

Si un juge en venait tout de même à accorder la levée des scellés, Radio-Canada demande que les extraits qui visent ses journalistes soient entièrement caviardés.

« La SQ a demandé l’autorisation d’espionner nos journalistes. Pour quels motifs allégués ? C’est ce que nous cherchons à savoir, et c’est pourquoi nous désirons consulter des documents. Nous sommes ouverts à toute solution raisonnable pour protéger les sources journalistiques de Radio-Canada », a pour sa part ajouté Alexandre Pratt, directeur principal de l’information de La Presse.

Affaire Lagacé : La Presse demande l’annulation des mandats obtenus par le SPVM

La Presse a déposé hier une requête judiciaire pour demander l’annulation des 24 autorisations judiciaires ayant mené à la surveillance des communications du chroniqueur Patrick Lagacé par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Les relevés téléphoniques du journaliste ont été épiés dans le cadre d’une enquête des affaires internes sur un policier avec qui il avait eu quelques échanges téléphoniques. Ce policier, Fayçal Djelidi, fait face à plusieurs accusations relativement à des visites présumées à des prostituées et à la fabrication de preuve, mais aucune n’est liée à des fuites d’information dans les médias.

La Presse estime qu’il y a absence de « lien logique » entre l’enquête sur M. Djelidi et l’obtention de mandats visant Patrick Lagacé.

« Les faits à l’origine de la présente requête s’inscrivent dans le cadre d’une “chasse aux sources journalistiques” sans précédent, au cours de laquelle le SPVM a déployé des moyens extraordinaires afin de remédier à ce qu’il a lui-même qualifié de “coulage” d’information dans les médias », peut-on lire dans la requête présentée hier. « Dans le contexte où les affaires internes avaient reçu l’ordre de faire le nécessaire pour “trouver les failles” au SPVM, le choix d’une technique d’enquête qui permettait seulement d’atteindre cet objectif sans faire avancer significativement l’enquête aurait dû inciter le juge de paix magistrat à rejeter la demande ou en circonscrire les paramètres », ajoute le document judiciaire.

Le rapport sur la surveillance policière des journalistes dénoncé

Les élus montréalais de l’opposition ont dénoncé le rapport de la Commission de la sécurité publique de Montréal, qui a entendu le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sur la surveillance des journalistes, y voyant une simple opération de relations publiques. L’administration Coderre avait demandé à la Commission de la sécurité publique d’étudier les procédures du SPVM pour l’obtention de mandats ciblant les journalistes. Le rapport déposé hier après-midi au conseil municipal a laissé les élus de l’opposition sur leur faim, le document ne formulant aucune recommandation ou réprimande envers le corps policier. « Toute cette affaire a les apparences d’ingérence politique dans les affaires opérationnelles du SPVM », a dénoncé l’élu Alex Norris, de Projet Montréal. « Toute personne raisonnable va conclure que le service de police a agi de façon abusive en espionnant ces journalistes », a pour sa part dénoncé le conseiller Marvin Rotrand, de Coalition Montréal. L’élue responsable de la sécurité publique au sein de l’administration Coderre, Anie Samson, a défendu le travail de la Commission. « Le mandat était très clair : ce n’était pas une commission d’enquête sur ce qui s’est passé. » Anie Samson a dit avoir été satisfaite des explications du SPVM. — Pierre-André Normandin, La Presse

La FPJQ déçue 

Alors que les membres de la Commission se sont questionnés pour savoir comment déterminer qui est un journaliste et qui ne l’est pas, on n’a pas non plus jugé bon d’entendre la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). « Je trouve cela absurde. Ils se demandent c’est quoi un journaliste et ils ne nous ont même pas invité, ils n’ont invité aucun journaliste », a déploré le président de la FPJQ, Stéphane Giroux. Celui-ci voit d’ailleurs dans le questionnement sur le statut de journaliste une façon de blâmer les reporters pour cet épisode d’espionnage. L’organisation représentant les journalistes professionnels qualifie le rapport des élus de « superficiel ». Même si le document fait 70 pages, « leurs observations tiennent sur une demi-page, note M. Giroux. Je vois un rapport d’une complaisance absolue dans lequel la police ne se remet pas en question. » — Pierre-André Normandin, La Presse

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